Faut-il faire l’éloge de la vitesse ou de la lenteur ?

Le monde moderne nous invite à accélérer : répondre aux mails, travailler plus en moins de temps. Cette vitesse est-elle vraiment utile pour notre humanité sans une certaine lenteur.

Un temps qui s’accélère

Dans une vie moderne, nous trouvons dans la multiplication des expériences une sorte d’équivalence à la quête d’éternité. Comme si une vie bien remplie était une vie heureuse, riche et intense.

L’accéleration de nos mondes est :

  • technique : internet, mondialisation viennent secouer nos horloges,
  • économique : la croissance et la productivité gouvernent les organisations capitalistes,
  • sociale : au sein d’une même vie plusieurs changements s’opèrent (travail, mariage, divorce par exemple),
  • culturelle : la multiplication des tâches, des échanges (mail par exemple).

La productivité passe d’ailleurs par une compression du temps : faire plus en un temps réduit.

L’accéleration fait donc référence au temps mais aussi à la compression des tâches exécutées.

La vitesse est parfois indispensable :

  • le pilote de course doit allier vitesse et perfection d’exécution pour gagner une course.
  • le médecin urgentiste ne peut pas consacrer du temps à l’introspection dans une situation d’urgence. Il doit allier rapidité et intuition face à une situation de crise.
  • le pompier doit allier posture adaptée et geste qui sauve dans une vitesse d’exécution adaptée.

Nos vies modernes nous laissent à penser que nous n’avons plus de temps à nous. Or, nous avons 5 fois plus de temps libre qu’il y a un siècle.

Qu’est-ce qui nous donne cette impression ?

L’infobésité et la surcharge mentale font partie des maux de notre civilisation.

La pression sociale est aussi un mal contemporain.

Contrairement à une idée reçue : notre cerveau n’est pas fait pour exécuter plusieurs tâches similaires dans un même temps.

Rappelez-vous lorsque vous avez appris à conduire. Pas question de changer les stations de radio ou tenir une conversation avec vos passagers.

Par la suite et à force d’expérience des « automatismes » se créent et permettent d’exécuter d’autres tâches en simultané. Un temps est cependant nécessaire pour passer de l’une à l’autre.

La vitesse d’exécution ne peut être téléchargée comme dans Matrix.

Il va donc falloir s’armer de patience. A foce de répétitions, d’erreurs, de corrections, de lenteur d’exécution pour passer d’une action réfléchie à un automatisme.

La vitesse peut se transformer en burnout ou en Karōshi.

L’éloge de la lenteur

La lenteur peut donc être très utile pour exécuter, à force de patience, une tâche qui deviendra par la suite automatique.

La lenteur est nécessaire :

  • à l’astronaute qui sera soumis à l’impesenteur
  • à l’écrivain qui sera dépendant de l’inspiration
  • au scientifique qui sera soumis à la pensée
  • au jardinier qui devra cultiver son jardin à la vitesse de la nature
  • à l’adepte du tai-chi-chuan, qui devra exécuter ses gestes avec précision et beaucoup de lenteur.

La lenteur est donc tout aussi nécessaire que la vitesse.

La lenteur n’est pas une incapacité à exécuter une cadence plus rapide. C’est une forme de résistance au temps. Ne pas se laisser emporter par le temps mais garder du temps pour la respiration.

Une certaine forme de sagesse se reconnaît à la volonté de ne pas brusquer la durée, de ne pas se laisser bousculer par elle, pour augmenter notre capacité à accueillir l’évènement.

Nous avons nommé lenteur cette disponibilité de l’individu.

Elle exige que nous donnions au temps toutes ses chances et laissions respirer notre âme à travers la flânerie, l’écriture, l’écoute et le repos.

Pierre Sansot : du bon usage de la lenteur

L’éloge de l’ennui

Nous sommes animés par un remplissage du vide. L’ennui est pourtant structurant dans notre rapport au monde. Il est nécessaire :

  • à la mémoire,
  • à l’imagination,
  • à l’inventivité,
  • pour se projeter dans le temps,
  • au solutionnement d’un problème,
  • etc.

De nombreux scientifiques ont pu voir leur découverte aboutir grâce à l’ennui : Isaac Newton, Albert Einstein.

De nombreux écrivains ont expérimenté l’ennui : René Descartes, Chateaubriand, Proust, Jean Dormesson.

L’intensification du présent nous fait oublier qu’une phase d’ennui facilitera la créativité et l’innovation.

Le remplissage de ce vide nous empêche parfois de prendre conscience du temps qui passe et de l’issue fatale qui nous attend tous.

Saturer tous ses sens nous donne le sentiment d’ivresse, d’exister sans jamais avoir conscience de soi face à soi (peur de la solitude).

Vive l’alternance

Alors, faut-il privilégier la vitesse ou la lenteur ?

Pour qu’il y ait accélération, il faut qu’une décélération soit constatée.

Il est fort probable que les deux soient utiles la plupart du temps.

En effet, pour pouvoir accélérer il nous faut pouvoir profiter d’un temps de récupération, de la respiration.

L’histoire du monde nous apprend qu’après une forte croissance, il existe un temps de pause (ou de stagnation) ou de récupération (ou de décroissance).

De la même manière, les efforts cognitifs nécessitent des temps de contemplation, d’introspection.

Il faut donc trouver le bon rythme pour alterner vitesse et lenteur. C’est à vous de savoir jauger vos limites et vous appuyer sur l’esprit critique et la confiance en soi.

Prendre le temps de la lenteur demande plus d’effort que d’accélérer.

Réussite = Compétence x Effort

réussite

La réussite selon Martin Seligman tiendrait dans l’équation suivante :

réussite = compétence x effort

Une compétence peut être définie comme la mobilisation d’un ensemble de ressources diversifiées internes (connaissances, capacités, habiletés) et externes (documents, outils, personnes) renvoyant à la complexité de la tâche et au caractère global et transversal celle-ci.

Les compétences dans la réussite

Il existe deux types de compétences :

La compétence consciente.

À force d’essayer, de s’exercer nous commençons à maîtriser cette nouvelle compétence, mais cela nous demande toujours une concentration pour réaliser la tâche. Nous avons appris, nous savons la réaliser, mais nous sommes attentif à la manière de la pratiquer. Nous répétons la tâche étape après étape en analysant, en déterminant comment la réaliser.

La compétence inconsciente

A force de répétition, d’intégration de la pratique de la tâche, nous n’avons plus besoin d’y penser. Notre esprit peut être occupé à d’autres actions pendant que nous réalisons machinalement cette tâche.

Typiquement, il s’agit de la conduite automobile. Au début nous sommes concentrés sur toutes les actions à mener : ceinture de sécurité, rétroviseurs, clignotant, etc.

A force d’habitude, nous finissons par réaliser cela automatiquement et parfois sans nous en rendre compte.

La pratique de la tâche est tellement ancrée à force de répétition que votre cerveau est capable de la réaliser sans que vous y pensiez.

L’automatisme et la lenteur

La composante essentielle de la compétence est par conséquent la quantité d’actions que vous pourrez mener automatiquement. On peut donc gagner du temps en améliorant notre vitesse d’exécution. En les transformant en automatismes.

Plus vous aurez d’automatismes, plus vous pourrez consacrer du temps à la lenteur.

Que ce soient dans les fonctions intellectuelles ou exécutives, il est des actions qui nécessitent du temps et de l’intégration.

Exemple : Si vous lisez un article scientifique en diagonale vous risquez de simplifier le propos et par conséquent de passer à côté de l’essentiel.

Certaines tâches demandent du temps :

  • La créativité
  • La planification
  • Le perfectionnement
  • La vérification des erreurs

La troisième composante de la compétence est déterminée par le taux d’apprentissage. C’est notre capacité à apprendre de nouveaux domaines de compétences, à les assimiler et à les intégrer.

Pour Martin Seligman la réussite s’appuie sur :

  • La vitesse : plus la part des automatismes est grande, mieux on connaît une tâche,
  • La lenteur : plus nombreux sont les automatismes, plus on peut consacrer de temps à certaines fonctions exécutives et intellectuelles,
  • Le taux d’apprentissage : les aptitudes à développer sa vitesse mentale laisse du temps aux processus exécutifs lents.

Un chemin à parcourir

La réussite est aussi une distance à parcourir entre deux points : le point de départ et le point d’arrivée. Tout comme la distance, la réussite tient compte de la vitesse et du temps : distance = vitesse x temps. En effet, un effort considérable pourrait compenser une compétence modeste. C’est le principe de la réussite sociale.

L’effort peut être défini comme la quantité de temps et d’énergie consacrés à une tâche.

Exemple : « un pianiste de niveau mondial totalise 10 000 heures d’entraînement quand il arrive à 20 ans, à rapprocher des 5 000 heures du pianiste de moindre niveau. »

L’autodiscipline

Elle est un facteur déterminant de la réussite.

« L’autodiscipline est le trait de caractère qui génère la pratique volontaire. C’est le sacrifice du plaisir à court terme au profit d’un avantage à long terme. »

De nombreuses études ont démontré que les enfants capables de résister au plaisir immédiat au profit d’une récompense future plus importante (autodiscipline) réussissent mieux dans la vie personnelle et professionnelle.

Etude Stanford réalisée 400 fois.

La détermination et le courage

Pour Angela Duckworth (Grit : The Power of Passion and Perseverance), la détermination serait la conjugaison de la persévérance et de la passion.

Lui seul permet d’atteindre des objectifs à long terme – un trait de caractère selon elle plus indispensable à la réussite que ce qu’on a l’habitude d’appeler le talent, et qu’il serait heureusement possible de cultiver.

Un minimum d’autodiscipline amène à de très bons résultats.

La réalisation extraordinaire tiendrait donc dans la détermination et dans la capacité à persévérer à l’extrême.

Grit, c’est couramment en anglais le courage, l’énergie, le cran. C’est l’aptitude nécessaire pour atteindre la marche de la victoire.

La mentalité de croissance serait la source d’une mentalité de gagnant : pour Carole Dweck la capacité à apprendre n’est pas figée. Elle peut se développer avec l’effort et persévérer si l’apprenant ne considère pas l’échec comme une condition permanente. Nous devons être prêt à échouer, à avoir tort, à recommencer en tenant compte de nos erreurs.

D’après le livre de Martin Seligman, S’épanouir, Editions Belfond.