Quel sens donnez-vous à un projet ?

J’ai eu la chance d’animer un séminaire consacré à un projet collectif au sein d’un groupe d’amis.

Sans dévoiler, quoi que ce soit, qui puisse être préjudiciable, j’en ai tiré quelques leçons que je partage.

1- Le nom du projet

Ce groupe n’était pas arrivé à trouver une identité forte au projet. Certains avaient fait des propositions mais celles-ci étaient loin de faire l’unanimité. La majorité n’avait purement aucun nom à proposer. Certains voulaient l’appeler : paquebot, navire. Difficile de faire pire car dans l’inconscient, cette frêle esquif pouvait rapidement se transformer en « naufrage ».

On pourrait, cependant, penser que cela n’est pas très grave car, car temporaire, un nom finissant par émerger avec le temps.

Pour ma part, je pense que le problème est plus profond car dans la plupart des projets on donne un nom même provisoire quitte à en changer lorsque le projet évolue.

Ne pas avoir de nom, c’est souvent, ne pas avoir d’existence et cela pose problème car quelle peut être la cohésion, le sens, lorsque l’on ne sait pas nommer son projet ? Au pire, on le nomme : notre projet de vie ou le projet du groupe X… Une des premières choses que font les tortionnaires c’est déshumaniser leur victime en leur retirant leur identité (matricule, numéro par exemple).

2- Le récit du projet

Toute aventure humaine est une narration, un récit, une histoire que l’on écrit avant d’en vivre : les étapes, le chemin pour y arriver. C’est aussi une vision, un objectif que l’on rêve d’atteindre.

Le récit donne du sens à votre projet. Il est : ce qui est et pas nécessairement ce qui sera. C’est la projection de notre pensée et c’est elle qui va faire sens car elle est représentative de ce que nous sommes. Le récit a une valeur symbolique forte : conte, fable, épopée, odyssée,… sont porteurs de ces valeurs que leurs auteurs souhaitaient mettre en avant.

Au sein d’un groupe, le récit permet de fédérer, de mobiliser, de donner la direction à prendre tout en conservant cette part de naïveté, d’utopie que tout découvreur porte en lui.

Le récit mobilise, motive et donne le cap. Il est le point de départ d’une vision commune.

3- Les rites

Le rite est une pratique sociale. Il existe dans tous les peuples et rythme la vie de celles-ci : naissance, rite de passage, communion, mariage, prière, cérémonies, funérailles, …

Les rites collectifs facilitent la cohésion et officialisent le passage d’un statut à un autre : pot d’arrivée, de départ, repas partagé, brainstorming, séminaire, team building, …

4- Le sens et la symbolique

La symbolique est porteuse de sens et donne du sens à nos actions :

  • avoir une identité,
  • porter une vision commune,
  • ritualiser la cohésion de groupe.

Ce sont d’ailleurs les trois premières étapes indispensables à tout changement collectif.

Faut-il faire l’éloge de la vitesse ou de la lenteur ?

Le monde moderne nous invite à accélérer : répondre aux mails, travailler plus en moins de temps. Cette vitesse est-elle vraiment utile pour notre humanité sans une certaine lenteur.

Un temps qui s’accélère

Dans une vie moderne, nous trouvons dans la multiplication des expériences une sorte d’équivalence à la quête d’éternité. Comme si une vie bien remplie était une vie heureuse, riche et intense.

L’accéleration de nos mondes est :

  • technique : internet, mondialisation viennent secouer nos horloges,
  • économique : la croissance et la productivité gouvernent les organisations capitalistes,
  • sociale : au sein d’une même vie plusieurs changements s’opèrent (travail, mariage, divorce par exemple),
  • culturelle : la multiplication des tâches, des échanges (mail par exemple).

La productivité passe d’ailleurs par une compression du temps : faire plus en un temps réduit.

L’accéleration fait donc référence au temps mais aussi à la compression des tâches exécutées.

La vitesse est parfois indispensable :

  • le pilote de course doit allier vitesse et perfection d’exécution pour gagner une course.
  • le médecin urgentiste ne peut pas consacrer du temps à l’introspection dans une situation d’urgence. Il doit allier rapidité et intuition face à une situation de crise.
  • le pompier doit allier posture adaptée et geste qui sauve dans une vitesse d’exécution adaptée.

Nos vies modernes nous laissent à penser que nous n’avons plus de temps à nous. Or, nous avons 5 fois plus de temps libre qu’il y a un siècle.

Qu’est-ce qui nous donne cette impression ?

L’infobésité et la surcharge mentale font partie des maux de notre civilisation.

La pression sociale est aussi un mal contemporain.

Contrairement à une idée reçue : notre cerveau n’est pas fait pour exécuter plusieurs tâches similaires dans un même temps.

Rappelez-vous lorsque vous avez appris à conduire. Pas question de changer les stations de radio ou tenir une conversation avec vos passagers.

Par la suite et à force d’expérience des « automatismes » se créent et permettent d’exécuter d’autres tâches en simultané. Un temps est cependant nécessaire pour passer de l’une à l’autre.

La vitesse d’exécution ne peut être téléchargée comme dans Matrix.

Il va donc falloir s’armer de patience. A foce de répétitions, d’erreurs, de corrections, de lenteur d’exécution pour passer d’une action réfléchie à un automatisme.

La vitesse peut se transformer en burnout ou en Karōshi.

L’éloge de la lenteur

La lenteur peut donc être très utile pour exécuter, à force de patience, une tâche qui deviendra par la suite automatique.

La lenteur est nécessaire :

  • à l’astronaute qui sera soumis à l’impesenteur
  • à l’écrivain qui sera dépendant de l’inspiration
  • au scientifique qui sera soumis à la pensée
  • au jardinier qui devra cultiver son jardin à la vitesse de la nature
  • à l’adepte du tai-chi-chuan, qui devra exécuter ses gestes avec précision et beaucoup de lenteur.

La lenteur est donc tout aussi nécessaire que la vitesse.

La lenteur n’est pas une incapacité à exécuter une cadence plus rapide. C’est une forme de résistance au temps. Ne pas se laisser emporter par le temps mais garder du temps pour la respiration.

Une certaine forme de sagesse se reconnaît à la volonté de ne pas brusquer la durée, de ne pas se laisser bousculer par elle, pour augmenter notre capacité à accueillir l’évènement.

Nous avons nommé lenteur cette disponibilité de l’individu.

Elle exige que nous donnions au temps toutes ses chances et laissions respirer notre âme à travers la flânerie, l’écriture, l’écoute et le repos.

Pierre Sansot : du bon usage de la lenteur

L’éloge de l’ennui

Nous sommes animés par un remplissage du vide. L’ennui est pourtant structurant dans notre rapport au monde. Il est nécessaire :

  • à la mémoire,
  • à l’imagination,
  • à l’inventivité,
  • pour se projeter dans le temps,
  • au solutionnement d’un problème,
  • etc.

De nombreux scientifiques ont pu voir leur découverte aboutir grâce à l’ennui : Isaac Newton, Albert Einstein.

De nombreux écrivains ont expérimenté l’ennui : René Descartes, Chateaubriand, Proust, Jean Dormesson.

L’intensification du présent nous fait oublier qu’une phase d’ennui facilitera la créativité et l’innovation.

Le remplissage de ce vide nous empêche parfois de prendre conscience du temps qui passe et de l’issue fatale qui nous attend tous.

Saturer tous ses sens nous donne le sentiment d’ivresse, d’exister sans jamais avoir conscience de soi face à soi (peur de la solitude).

Vive l’alternance

Alors, faut-il privilégier la vitesse ou la lenteur ?

Pour qu’il y ait accélération, il faut qu’une décélération soit constatée.

Il est fort probable que les deux soient utiles la plupart du temps.

En effet, pour pouvoir accélérer il nous faut pouvoir profiter d’un temps de récupération, de la respiration.

L’histoire du monde nous apprend qu’après une forte croissance, il existe un temps de pause (ou de stagnation) ou de récupération (ou de décroissance).

De la même manière, les efforts cognitifs nécessitent des temps de contemplation, d’introspection.

Il faut donc trouver le bon rythme pour alterner vitesse et lenteur. C’est à vous de savoir jauger vos limites et vous appuyer sur l’esprit critique et la confiance en soi.

Prendre le temps de la lenteur demande plus d’effort que d’accélérer.

Réformer nos habitudes en douceur

Aspirer au changement

Nous avons tous envie de changement. Mais au moment de faire le grand saut c’est l’angoisse, la peur du vide, l’angoisse du néant qui nous immobilise.

Nous avons tous connu cette situation et il nous arrive plus souvent de nous arrêter ou de faire demi-tour… plus que de raison !

Notre éducation, notre environnement nous amène à pratiquer l’auto-censure, l’interdiction absolue sous peine d’être jugé comme un fou ou une personne déraisonnable.

Et pourtant…

  • Qui aurait pu prévoir l’élection de Trump ou de Macron ?
  • Qui aurait pu anticiper les bouleversements et les enjeux climatiques et environnementaux ?
  • Qui aurait pu croire au transhumanisme, à la physique quantique ou aux bienfaits de la méditation ?

Les avancées scientifiques dans de nombreux domaines nous invitent à être modestes face aux questions qui se posent encore à nous (physique, neurosciences, biologie moléculaire,…).

Il est plus raisonnable de douter des raisons qui nous empêchent de changer (habitudes, croyances, peurs par exemple) que du contraire.

Pour ma part on m’a pris pour un fou quand j’ai annoncé :

  • que j’arrêtais de boire, de fumer et de manger de la viande,
  • que j’allais quitter un CDI après 6 ans de bons et loyaux services,
  • que j’irai à 5000 mètres d’altitude voir un monastère en Himalaya,
  • que j’allais me marier pour la seconde fois avec une jeune femme connue quelques mois auparavant.

J’ai rencontré 100 fois plus de personnes qui m’en croyaient incapables que de personnes qui me poussaient à vivre mes aspirations et mes envies.

« Avancer c’est faire deux pas en avant et un pas en arrière »

Personne ne dit que c’est facile et sans embûches mais une chose est sure : si vous y croyez, c’est possible. Ne vous jetez pas dans le vide. Donnez-vous tous les moyens de réussir. Mais par pitié, à un moment prenez la décision qui vous parait la plus juste pour vous (et pas la plus raisonnable pour les autres).

Le seul moyen de s’émanciper des mauvaises habitudes est de les remplacer par de nouvelles, libératrices et émancipatrices.

Cela nécessite de la discipline et un courage certain à la pratique de l’exercice mais personne n’a dit que c’était facile.

Qu’il s’agisse d’un pas de géant ou de la pratique des petits pas, l’important est d’avancer et de vérifier si vous aviez raison ou si vous n’avez pas échoué faute de courage.

Le changement : contrainte ou implication ?

businessman

Le changement est souvent imposé par des contraintes extérieures. Des forces contraires se mettent alors en route : frein au changement, transformation du système de représentations et de relations, recherche de sens.

Changement ou processus de changement ?

Pourtant, tout est changement. Il conviendrait de parler de processus de changement pour expliquer « le passage d’un état A à un état B ». Le changement est « à analyser dans le moment du passage et non  de manière statique ». (Alter)

Le changement est déterminé par la capacité des différents acteurs à se mobiliser pour ajuster, coopérer, expérimenter et transformer les actions en lieu et place des blocages ou des freins.

Le changement s’opère souvent par la contrainte ou la domination. Il offre l’opportunité de désigner un bouc émissaire, un adversaire stigmatisé comme le mal absolu, l’empêcheur de tourner en rond… La contrainte ne fonctionne pas toujours cependant même si de nombreux dirigeants ont fondé leur action sur l’expérience de Milgram par exemple (résistance ou désobéissance à l’autorité par ex.).

C’est oublier la propension des acteurs à coopérer au-delà des intérêts individuels à condition que leur action ait du sens.

Le changement se situe donc à l’intersection entre les contraintes environnementales, les institutions et les acteurs. Le sens que l’on donne à notre action et l’attitude face aux décisions est donc la clé de voûte du changement.

Il convient donc de gérer le paradoxe managérial qui invite d’un côté à une plus grande autonomie et qui empêche d’un autre côté d’intervenir dans la décision (note de service, injonction, stratégie,…).

Comment dans ces conditions inspirer l’engagement et la motivation ?

Contrainte / soumission vs Implication / acceptation

Pour certains c’est « exit ou loyalty » (Hirschman, 1973) que l’on peut traduire par :

  • loyauté ou « la porte »
  • marche ou « crève ».

Pour eux, l’ordre et la domination sont supérieurs au conflit et au changement.

Pour ces managers autoritaires il sera toujours plus aisé de contraindre plutôt que d’impliquer, d’inciter, d’inspirer ou d’influencer.

Pour d’autres, la légitimité des décisions prises et l’autonomie des acteurs doit pouvoir s’exprimer pour donner du sens. La capacité d’action basée sur le quadrilatère : représentations, règles, interaction et sens, doit être réelle :

  • comprendre la logique,
  • donner un sens au travail,
  • expérimenter,
  • négocier ou intégrer,
  • modifier ou ajuster.

Il n’y a que peu de changements durables sans implication, sans une démarche inductive déductive. Réduire les agents au simple rang d’exécutants passifs est un leurre car la nature humaine a une capacité de contournement, de l’esquive, de neutralisation et de résistances impressionnantes.

Le management par la peur et la contrainte sont à mon sens contre-productifs car peu favorables à la conduite du changement et au développement de l’innovation.

« Ce sont les personnes qui reçoivent les ordres qui décident si cet ordre fait autorité ou non, et non pas les personnes en position d’autorité ou celles qui émettent les ordres » Sociologie du changement, Philippe Bernoux

En d’autres termes la notion d’autorité dépends plus de celui qui la subit que de celui qui l’émet. L’autorité ne fait de sens que si elle est acceptée (légitimité de l’émetteur, caractère objectif du message)

Avec l’appui du livre de Philippe Bernoux : sociologie du changement